ÉCLAIRAGES SUR LA RÉVISION DE LA CONSTITUTION
La Constitution telle qu’enrichie par les amendements adoptés par le Parlement, le 7 février 2016, constitue l’aboutissement du processus de réformes institutionnelles, politiques et socio-économiques, engagé, dès 2011 par le Président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika.
Elle découle d’une ferme volonté d’élargir les espaces démocratiques et d’asseoir une gouvernance performante comme étape avancée de la dynamique des réformes menées en Algérie depuis 1999, devant conduire à la consécration de la primauté du droit, au renforcement de la démocratie participative dans le cadre d’un Etat démocratique, républicain et social.
Plusieurs axes de réforme ont été privilégiés dans ce cadre, en veillant, d’une part, à consolider certaines dispositions législatives en les rehaussant au rang de normes constitutionnelles et, d’autre part, à en introduire des nouvelles au titre de plusieurs chapitres : Etat de droit, droits de l’homme et libertés démocratiques, renforcement du pouvoir législatif et du rôle de l’opposition parlementaire, renforcement de l’indépendance de la justice, moralisation de la vie publique et, enfin, mise en œuvre des Objectifs pour le Développement Durable 2030 ainsi que de l’agenda 2063 de l’Union africaine.
1.État de droit
La Constitution amendée stipule, s’agissant de l’alternance au pouvoir, que le Président de la République est élu pour un mandat de 5 ans et n’est rééligible qu’une seule fois (Art. 74). La Loi fondamentale souligne que cette disposition est «non révisable» en cas d’amendement de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel est renforcé dans son rôle et son indépendance puisqu’il disposera de l’autonomie administrative et financière. Outre l’examen de la constitutionnalité des lois, il est habilité, lorsqu’il constate ou qu’il est saisi, à annuler toute disposition législative ou réglementaire qu’il juge inconstitutionnelle. L’invalidation prenant effet le jour même de la décision du Conseil.
Enfin, le Président du Conseil constitutionnel et tous les autres membres de ce dernier exerceront, à l’avenir, un mandat de huit années, non renouvelable.
La Constitution révisée prévoit également la création d’une haute instance indépendante de surveillance des élections. Cette dernière, présidée par une personnalité nationale nommée par le Président de la République, après consultation des partis politiques, est composée, à parité, de magistrats proposés par le Conseil supérieur de la magistrature, et de compétences indépendantes choisies par le Président de la République parmi la société civile. Cette instance disposera d’un comité permanent et déploiera ses membres dès la convocation du corps électoral (Art. 170 ter).
La mission de cette haute instance consistera à veiller à la transparence et à la probité des élections présidentielles, législatives et locales, depuis la convocation du corps électoral jusqu’à la proclamation des résultats provisoires du scrutin. En outre, le Comité Permanent de la haute instance veillera notamment à la supervision des opérations de révision des listes électorales par l’administration, à la formulation de recommandations pour l’amélioration du dispositif législatif et réglementaire régissant les opérations électorales, à l’organisation de cycles de formation civique au bénéfice des formations politiques sur la surveillance des scrutins et la formulation des recours.
Dans le même article, il est également stipulé que la liste électorale sera mise, à chaque élection, à la disposition des candidats.
2.Droits de l’homme et libertés démocratiques
La Constitution amendée a introduit de nouvelles dispositions et consacré d’autres au rang de disposition constitutionnelle, renforçant davantage les droits du citoyen. Celles-ci se déclinent en :
La constitutionnalisation de la langue Amazighe langue nationale, promue langue officielle et la création d’une Académie pour réunir les conditions de sa promotion et de sa concrétisation à terme ;
- La Constitutionnalisation de la criminalisation de la torture, des traitements cruels inhumains et ou dégradants (Art 34), inscrite, jusque-là dans le code pénal amendé ;
- La constitutionnalisation de prohibition de la sanction du délit de presse par une peine privative de liberté (Art 41 ter), inscrite dans le code de l’information amendé ;
- Le caractère exceptionnel de la détention provisoire (art. 47) ;
- L’exception d’inconstitutionnalité, lorsqu’un justiciable soutient devant une juridiction que la disposition législative dont dépend l’issue de l’affaire à laquelle il est partie porte atteinte à ses droits et libertés garantis par la Constitution (Art. 166 bis), ce qui représente une innovation de premier ordre ;
- La possibilité de pourvoi en appel en matière criminelle, une nouveauté renforçant les garanties accordées aux justiciables ;
- L’exercice du droit à la manifestation pacifique dans le cadre de la loi (Art. 41 bis) qui était par le passé associé au droit à la réunion et l’association ;
- La réaffirmation et la consolidation de la garantie de la liberté de la presse (écrite, audiovisuelle et sur les réseaux d’information) sans aucune forme de censure préalable (Art. 41 ter). La prise en compte des évolutions technologiques constitue une nouveauté ;
- La garantie au citoyen du droit à la culture (Art. 38 bis) constitue une autre nouveauté ;
- La liberté d’exercice du culte est garantie dans le respect de la loi pour l’encadrer et la prémunir des pratiques sectaires et des groupes radicaux ;
- L’obligation d’informer la personne gardée à vue de son droit d’entrer en contact avec son avocat (Art. 45) en vue de renforcer la garantie du droit à un procès équitable, constitue une autre nouveauté ;
- L’examen médical est une obligation pour les mineurs gardés à vue (Art. 48) afin de s’assurer du respect en toutes circonstances de l’intégrité physique des prévenus, jusque là figurant dans le code de procédure pénale ;
- aucune atteinte ou restriction aux droits civils et politiques du citoyen ne peut intervenir que sur décision motivée de l’autorité judiciaire (Art. 44) afin de mettre un terme aux mesures administratives parfois arbitraires ;
- La protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel (Art. 39) offre une garantie sur la vie privée et constitue une nouvelle mesure ;
- Autre nouveauté, l’arrestation arbitraire est punie par la loi (Art. 47), en vue de prévenir les abus d’autorité ;
- Les personnes démunies ont droit à l’assistance judiciaire (Art. 45 bis) visant à garantir l’accès équitable à la justice pour tous les citoyens ;
- L’emploi des enfants de moins de 16 ans est proscrit et la violence à leur encontre est sanctionnée par la loi (Arts. 55 et 58) dans le cadre de la protection de l’enfance ;
- Les personnes vulnérables, âgées ou ayant des besoins spécifiques sont sous la protection sociale de l’Etat (Art. 58). Jusque-là énoncée dans les lois sectorielles, cette mesure, qui vise à assurer une vie digne à ces catégories de personnes, se voit rehaussée au niveau de la Loi fondamentale ;
- Le droit à un environnement sain (Art. 54 ter), constitue la consécration de la 3e génération des droits de l’homme ;
- La liberté d’investissement et de commerce est reconnue et s’exerce dans le cadre de la loi (Art. 37). Elle constitue une nouveauté ;
- Les libertés académiques et la liberté de recherche scientifique sont garanties et s’exercent dans le cadre de la loi (Art.38), et constituent une nouveauté supplémentaire ;
- L’État œuvre à promouvoir la parité entre les hommes et les femmes sur le marché de l’emploi et encourage son accès aux responsabilités dans les institutions et administrations publiques (Art. 31 bis et ter) ;
- La création d’un Conseil national des droits de l’homme (Art. 173-1-2) constitue une innovation visant à donner plus de visibilité aux efforts de l’Etat dans la promotion des droits de l’homme. Elle mettra fin à la déclassification qu’a connue l’organe national depuis 2007 au niveau international (la constitutionnalisation de ce Conseil lui conférera un classement en catégorie A au sein de l’Organisation des Nations-Unies, alors que la Commission Nationale Consultative de Promotion et de Protection des droits de l’Homme était classée en catégorie B sous motif qu’elle était régie par un décret exécutif).
3.Le renforcement du pouvoir législatif réaffirmé et le rôle de l’opposition parlementaire consolidé
La Constitution révisée énonce, dans son chapitre relatif au pouvoir législatif, en vertu de l’article 118, qu’elle tiendra une session parlementaire annuelle unique de dix mois.
S’agissant des attributions du Parlement, le Conseil de la Nation se voit doté, en vertu de l’article 119-bis, de la prérogative consistant à prendre l’initiative et/ou à examiner, en première instance, les projets de lois relatifs à «l’organisation locale, à l’aménagement du territoire et au découpage territorial». Une nouveauté par rapport à la pratique courante.
Avant leur ratification par le Président de la République, les traités de portée économique seront soumis à l’examen du Parlement lorsqu’ils portent sur l’adhésion à des zones de libre échange, à des associations économiques, ainsi qu’à des intégrations économiques.
Par ailleurs, le rapport annuel de la Cour des Comptes et celui du Conseil National des droits de l’homme seront adressés à l’instance législative, pour examen. Cette dernière pourra mettre sur pied, outre les commissions d’enquêtes, des missions d’information.
La Loi fondamentale souligne que la majorité parlementaire sera consultée par le Chef de l’Etat pour la nomination du Premier ministre.
S’agissant du renforcement du rôle de l’opposition parlementaire, la révision Constitutionnelle souligne l’obligation pour chacune des deux Chambres du Parlement de réserver une séance mensuelle consacrée à l’examen d’un ordre du jour proposé par l’opposition et que celle-ci peut à l’avenir saisir le Conseil constitutionnel sur des lois adoptées au Parlement. Elle confère désormais, en vertu de l’article 166, le droit à cinquante (50) députés ou trente (30) membres du Conseil de la nation de saisir le Conseil constitutionnel.
Sur un autre plan, le Premier Ministre sera, à l’avenir et en vertu de l’article 84, tenu de présenter annuellement au Parlement la Déclaration de politique générale. Dans cette même optique et dans le chapitre du renforcement des prérogatives de l’instance législative, le recours aux ordonnances législatives interviendra uniquement en cas d’urgence et durant les vacances parlementaires.
Il sera, également, reconnu aux partis politiques «sans discrimination» des droits, notamment à l’expression et aux réunions, au temps d’antenne dans les médias publics, proportionnels à leur représentativité au niveau national et un financement public en rapport avec leur représentation au Parlement (Art. 42 bis).
4.Renforcement de l’indépendance de la justice
L’avant-projet de révision de la Constitution consacre l’indépendance du pouvoir judiciaire et confie sa garantie au Président de la République.
Ainsi, la Constitution amendée énonce en son article 153 que l’organisation, le fonctionnement et les autres attributions de la Cour suprême, du Conseil d’État et du Tribunal des conflits seront, à l’avenir, fixés par une loi organique.
Pour sa part, le Conseil supérieur de la magistrature disposera, également, de l’autonomie administrative et financière, selon l’article 157, et ne sera plus rattaché au Ministère de la Justice.
La Constitution révisée rappelle le principe selon lequel «le juge n’obéit qu’à la loi», souligne, au titre des nouveautés, que le magistrat «est protégé contre toute forme de pression, intervention ou manœuvre de nature à nuire à l’accomplissement de sa mission ou au respect de son libre arbitre».
Cette protection est également étendue à l’avocat qui voit son rôle, pour la première fois, constitutionnalisé et qui «bénéficie de garanties légales qui lui assurent une protection contre toute forme de pression et lui permettent le libre exercice de sa profession, dans le cadre de la loi».
Le document stipule, en outre, que toute intervention dans le cours de la justice «est proscrite», et que le juge «doit se prémunir de toute attitude susceptible de porter atteinte à son impartialité».
5.Moralisation de la vie publique
Sous ce chapitre, le projet de texte constitutionnel institue, en vertu de l’article 173-5, un Organe indépendant de prévention et de lutte contre la corruption, placé auprès du Président de la République, dont les membres et fonctionnaires bénéficient de la protection de la loi contre toute forme de pression ou d’intimidation.
Il aura pour mission, notamment, de proposer et de contribuer à animer une politique globale de prévention de la corruption, et de s’assurer de la transparence et de la responsabilité dans la gestion des biens et des deniers publics et de formuler des recommandations en la matière.
Par ailleurs, en vertu de l’article 21, toute personne désignée à une fonction supérieure de l’Etat, élue ou désignée au sein d’une assemblée ou dans une institution nationale doit faire une déclaration de patrimoine au début et à la fin de sa fonction ou de son mandat.
Enfin et pour mettre un terme au nomadisme des élus dans les assemblées élues, sera déchu de plein droit de son mandat électif l’élu de l’Assemblée Populaire Nationale ou du Conseil de la Nation, affilié à un parti politique, qui aura volontairement changé l’appartenance sous l’égide de laquelle il a été élu (Art. 100 ter).
6.Mise en œuvre des Objectifs du Développement Durable 2030
Les innovations que la révision constitutionnelle a introduites cadrent avec les Objectifs du Développement Durable (ODD) adoptés par l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 25 Septembre 2015, en particulier l’objectif 5 (égalité du genre) à travers les articles 31 bis et 31 ter, l’objectif 10 (inégalités réduites) à travers l’article 29 et, les objectifs 13 et 15 (préservation et protection de l’environnement) à travers l’article 54, l’objectif 16 (promotion de l’avènement de sociétés pacifiques), pris en charge par les paragraphes 8 et 9 du préambule et dont les sous objectifs qui s’y déclinent ont trouvé leurs traductions à travers plusieurs dispositions, notamment :
- «réduire toute forme de violence » (sous objectif 16. 1), pris en charge par l’article 34 de la loi fondamentale ;
- «mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation, à la traite et à toutes formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants » (sous objectif 16.2) à travers l’article 58 de la Constitution ;
- «promouvoir l’Etat de droit au niveau national et donner à tous l’accès à la justice dans les conditions d’égalité (sous objectif 16.3) pris en charge par l’article 140 de la Constitution ;
- «réduire la corruption et les pratiques des pots de vin sous toutes leurs formes (sous objectif 16.5) pris en charge par les articles 8 et 173 — 5 et 173 — 6 de la Constitution ;
- «mettre en place des institutions efficaces, responsables et transparentes à tous les niveaux (sous objectif 16.6) pris en charge par les articles 8 et 14 de la constitution ;
- «faire en sorte que le dynamisme, l’ouverture, la participation et la représentation à tous les niveaux caractérisent la prise de décision (sous objectif 16.7), pris en charge par les articles 10, 14 et 16 de la Constitution ;
- «garantir l’accès public à l’information et protéger les libertés fondamentales, conformément à la législation nationale et aux accords internationaux (sous objectif 16.10), à travers les articles 32, 41-2, 41-4 de la Loi fondamentale enrichie.
7.Diplomatie et défense
Plusieurs amendements sont venus étoffer les dispositions constitutionnelles relatives à la diplomatie et la défense.
Rappelant les enseignements tirés d’un épisode marquant de notre histoire, le préambule de la Constitution amendée relève que le peuple algérien a été confronté à une véritable tragédie nationale qui a mis en danger la survie de la Patrie.
A ce titre, il est relevé que c’est en puisant dans sa foi et son attachement inébranlable à son unité que le peuple a souverainement décidé de mettre en œuvre une politique de paix et de réconciliation nationale qui a donné ses fruits et qu’il entend préserver.
Le préambule souligne, également, la détermination du peuple pour garder l’Algérie «à l’abri de la fitna, de la violence et de tout extrémisme, en cultivant ses propres valeurs spirituelles et civilisationnelles de dialogue, de conciliation et de fraternité, et ce, dans le respect de la Constitution et des lois de la République ».
Le préambule de la Constitution enrichie met en exergue les valeurs spirituelles profondément enracinées et les traditions de solidarité et de justice du peuple algérien qui demeure confiant dans ses capacités à œuvrer pleinement au progrès culturel, social, économique du monde d’aujourd’hui et de demain.
«L’Algérie terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain, s’honore du rayonnement de sa Révolution du 1er Novembre et du respect que le pays a su acquérir et conserver en raison de son engagement pour toutes les causes justes dans le monde».
Il s’agit, par ailleurs, de la constitutionnalisation de la protection des droits et des intérêts des citoyens à l’étranger, dans le respect du droit international, ainsi que la sauvegarde de l’identité des citoyens résidant à l’étranger (Art. 24 bis).
Les objectifs de l’agenda 2063 de l’Union africaine, qui ambitionnent de projeter le continent africain un siècle après la création de l’organisation continentale, et auxquelles l’Algérie adhère, trouvent leur interprétation dans plusieurs dispositions de la Constitution amendée (préservation de la paix et la stabilité à travers l’établissement d’un Etat de droit, égalité du genre, valeurs démocratiques et principes universels de droits de l’Homme, préservation et protection de l’environnement).
A ce titre, le préambule de la Constitution rappelle l’attachement du peuple à ses choix pour la réduction des inégalités sociales, l’élimination des disparités régionales et la mise en place d’une économie productive et compétitive dans le cadre du développement durable et de la préservation de l’environnement.