ENTRETIEN ACCORDÉ PAR M. ABDELKADER MESSAHEL AU QUOTIDIEN LE MONDE
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, était en visite à Paris du 9 au 11 avril. Il a accordé un entretien au Monde dans lequel il revient sur les différentes crises régionales et insiste sur le refus d’Alger de toute ingérence.
Propos recueillis par Charlotte Bozonnet
La France s’entretient avec certains de ses partenaires sur de possibles frappes ciblées en Syrie. Quelle est votre position sur cette question ?
Nous suivons avec attention la dégradation de la situation en Syrie. Nous avons discuté avec le ministre français des affaires étrangères et avec d’autres partenaires. Nous avons toujours pensé que le problème qui se pose à la Syrie doit être réglé dans le cadre syrien.
Nous faisons bien sûr la différence entre la lutte contre le terrorisme, qui est une obligation pour tous, et des conflits nés de clivages internes. Dans ce cas-là, la solution est à trouver dans le cadre du dialogue, du respect de la souveraineté des peuples et des Etats, sans ingérence d’où qu’elle vienne.
En Libye, comment expliquez-vous la difficulté à mettre sur pied un dialogue national ?
On revient au problème des ingérences dans les affaires internes des Etats. Le processus en Libye est contrarié par trop d’agendas qui ne permettent pas à la volonté du peuple libyen d’aboutir selon la stratégie arrêtée par les Nations unies. La solution doit venir d’un dialogue entre Libyens. Ce pays a suffisamment de compétences pour cela. La preuve : la semaine dernière, deux grandes villes qui étaient pratiquement en guerre, Zintan et Misrata, ont trouvé des solutions. C’est un pas très important.
Quel est le rôle de l’Algérie dans ce processus ?
Notre rôle est d’accompagner les Libyens dans la mise en œuvre de leurs propres volontés, sans ingérence. Nous sommes en contact quasi quotidien avec toutes les parties libyennes.
L’approche de l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, vous semble-t-elle la bonne ?
M. Salamé a plusieurs grands mérites. Il a compris que la mission de l’ONU devait être en Libye. C’est le cas, elle est installée à Tripoli. Il est également en contact permanent avec presque tous les acteurs libyens et il s’est rendu à peu près partout. Nous le soutenons de manière sincère.
S’agissant du Mali, qui est responsable de la non-application de l’accord d’Alger, signé sous votre égide en mai-juin 2015 à Bamako et qui devait permettre une réconciliation ?
Nous avons accompagné nos frères maliens jusqu’à la signature de l’accord, mais celui-ci ne vaut que s’il est mis en œuvre et il le sera seulement si ceux qui l’ont signé en ont la volonté. Les Maliens doivent s’approprier le processus. De ce point de vue, nous saluons l’approche du premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga. Sa dernière visite à Kidal prouve une implication sérieuse.
La situation sécuritaire s’est dégradée dans le nord du Mali. Cela signe-t-il un échec de la stratégie adoptée par la mission des Nations unies (Minusma), par la France ?
Il n’y aura pas de solution en dehors de l’appropriation de la sortie de crise par les Maliens eux-mêmes. Notre rôle, comme celui de la France, des Nations unies, est de les accompagner. Ce que nous faisons : nous renforçons les capacités des troupes maliennes, nigériennes, nous formons des troupes spéciales, nous apportons un soutien logistique, nous partageons nos renseignements. Nous accordons une aide substantielle : plus de 100 millions de dollars en quelques années [aux pays du Sahel pour lutter contre le terrorisme]. Nous ne parlons pas beaucoup de ce que nous faisons, mais nous le faisons.
Le G5 Sahel, que vous refusez d’intégrer, vous paraît-il à même d’apporter une réponse à l’insécurité dans cette zone ?
Il le peut. Les gens se focalisent sur la présence ou non de l’Algérie dans le G5 Sahel. Vous connaissez les raisons pour lesquelles nos forces armées ne sortent pas de notre territoire : c’est constitutionnel, historique, culturel. L’armée algérienne est faite pour jouer son rôle de défense nationale. Nous n’avons pas de problème avec ceux qui se mobilisent pour combattre le terrorisme, bien au contraire. Nous aidons aussi ces pays, mais chacun le fait à sa manière.
Après la défaite militaire du groupe Etat islamique (EI) dans la zone irako-syrienne, observez-vous une recomposition de la menace terroriste au Sahel ?
Il n’y a pas plus dangereux que le retour de combattants [de l’étranger]. Nous l’avons connu au début des années 1990 quand des jeunes qui étaient allés combattre « les ennemis de Dieu » en Afghanistan sont revenus, aguerris, en Algérie. Nous avons ensuite vécu la tragédie de la décennie noire.
Aujourd’hui, peu de combattants vont revenir vers l’Europe car celle-ci s’est dotée de moyens pour l’empêcher. Par contre, beaucoup vont chercher à venir vers le Sahel, car c’est dans cette région qu’ils trouveront des espaces, des sources de financement et une faiblesse des institutions.
L’armée française a mené mi-février un raid près de la frontière algérienne contre le chef djihadiste malien Iyad Ag-Ghali…
Iyad n’est pas chez nous, il figure sur une liste noire des Nations unies. C’est un chef terroriste comme un autre et nous n’avons rien à voir avec lui. Sur ce sujet, il faut interroger les Maliens, les Français.
S’agissant du conflit au Sahara occidental, Rabat a dénoncé des incursions de membres du Front Polisario dans la zone tampon. Craignez-vous une action militaire du Maroc ?
Reprenez la déclaration du porte-parole des Nations unies : il a dit qu’il n’y avait pas eu de violation du cessez-le-feu.
Le Maroc vous a également appelé à vous impliquer dans les négociations. Que répondez-vous ?
L’Algérie a toujours soutenu les droits légitimes du peuple sahraoui. Nous reconnaissons qu’il y a des réfugiés sur notre territoire. Tout comme il y a eu des réfugiés algériens au Maroc pendant notre guerre de libération. Le Maroc nous a soutenus, tout comme la Tunisie. Mais nous ne leur avons pas demandé d’aller négocier l’indépendance de l’Algérie avec les Français à notre place. C’est la même chose. Nous ne faisons pas partie de ce conflit.
Le FLN vient d’appeler le président Bouteflika à briguer un cinquième mandat. Lundi, on l’a vu affaibli lors d’une sortie publique. Est-il souhaitable qu’il se représente en 2019 ?
Il n’a pas paru affaibli. Il a eu, il y a cinq ans, un accident cardio-vasculaire qui lui a causé quelques petits problèmes de santé, mais le président dirige le pays. Lundi, il a été à la rencontre de son peuple. Il est très présent. Depuis son arrivée, il s’est engagé dans une œuvre grandiose. En 1997, nous étions pratiquement en rupture. Vingt ans après, nous sommes un pays stable et sûr. Mais c’est lui qui décidera s’il souhaite être candidat, et c’est le peuple qui tranchera.